Origine
Sans remonter au mouvement hygiéniste du 19ème siècle, qui a principalement émergé à cause des préoccupations suscitées par la pathogénèse des villes que renforçait la révolution industrielle et l’exode rural, le premier à s’intéresser dans l’ère moderne aux liens entre les milieux urbains et la santé fut le psychiatre américain Leonard Duhl. Son ouvrage, paru en 1963, “The urban condition: people and policy in the metropolis” s’est penché sur les liens entre vie urbaine et santé, y compris des questions d’urbanisme. Ses idées ont joué un rôle important dans le mouvement pour une « nouvelle santé publique » qui a abouti à la Charte d'Ottawa pour la promotion de la santé.
Duhl a rencontré en 1984, lors d’un atelier à Toronto organisé pour les dix ans du Rapport Lalonde, le médecin canadien Trevor Hancock qui s’intéressait aux politiques publiques saines allant au-delà du système des soins. Il l’a invité pour un congé sabbatique à son Université à Berkeley et c’est pendant ce séjour qu’ils ont imaginé ensemble le concept de Villes-Santé.
Concept, finalité et objectifs
La définition qu’ils ont donné d’une ville-santé est celle « d’une ville qui crée et améliore continuellement les environnements physiques et sociaux et qui développe les ressources de la collectivité, permettant ainsi aux individus de s’entraider dans l’accomplissement de l’ensemble des fonctions inhérentes à la vie et permettant à ceux-ci de développer au maximum leur potentiel personnel » [1].
Cette définition implique alors que :
a) être « ville-santé » est davantage un processus qu’un état, puisqu’il est question de fournir un effort permanent, de faire sans cesse un certain nombre de choses pour avoir plus de santé ;
b) c’est un processus de promotion de la santé au niveau de la ville : les notions de « créer des environnements de soutien » et de « renforcer la communauté » qui allaient être introduites par la Charte d’Ottawa quelques mois plus tard, y figuraient déjà, les « pères » de Villes-Santé étant en relation étroite avec l’équipe de l’OMS, qui, sous la direction d’Ilona Kickbush, était en train d’élaborer cette Charte fondatrice ;
c) l’importance est placée non pas sur la ville elle-même mais sur les gens qui y vivent : comment faire pour que dans leur vie de tous les jours ils puissent développer au mieux leur potentiel humain.
Une ville-santé présente les 11 caractéristiques suivantes [4] :
i. Un environnement construit de haute qualité, propre et sûr.
ii. Un écosystème stable dans le présent et durable dans le long terme.
iii. Une communauté forte dont les membres se soutiennent mutuellement et s’abstiennent d’exploiter autrui.
iv. Une large participation du public et un contrôle satisfaisant dans les décisions qui affectent la vie, la santé et le bien-être des gens.
v. La satisfaction des besoins essentiels (nourriture, eau, abri, revenu, sécurité, emploi) pour tous les habitants de la ville.
vi. Un accès à une large variété d’expériences et ressources avec la possibilité de multiples contacts, interactions et communication.
vii. Une économie de la ville diversifiée, énergique et innovante.
viii. Un soutien à la connectivité avec le passé, avec l’héritage culturel et biologique, avec d’autres groupes et individus.
ix. Une forme urbaine qui est compatible et met en valeur les paramètres et comportement précités.
x. Un niveau optimal de santé publique et de services de soins appropriés et accessibles à tous.
xi. Un état sanitaire élevé (simultanément élevé pour la santé positive et bas pour les maladies).
La finalité d’un programme Ville-Santé est, à travers l’expression d’une volonté politique, de mettre en marche la ville et ses parties prenantes (administration municipale, secteur associatif, secteur privé, habitants) dans ce mouvement d’amélioration continue des déterminants de la santé de ses habitants.
Ses principaux objectifs sont de :
- mettre la santé au premier plan des priorités politiques en cherchant à faire prendre en compte, de manière explicite, la dimension santé dans les décisions des autorités locales ;
- appliquer à l'échelon local la stratégie de l’OMS, reconnaissant ainsi qu'il faut agir au niveau le plus proche du citoyen (« penser globalement, agir localement », selon la formule consacrée de René Dubos, énoncée lors de la Conférence de Stockholm sur l’environnement en 1972, que les dirigeants de l’OMS ont repris à leur compte). D’une certaine manière, Villes-Santé est à la promotion de la santé c’est qu’est l’Agenda 21 local au développement durable ;
- faire travailler les villes en réseaux afin de stimuler l’innovation, de bénéficier des expériences des autres partenaires et d’accroître la légitimité des politiques et des actions.
Les maîtres-mots du programme sont : participation intersectorielle et communautaire, subsidiarité, empowerment (le pouvoir d’agir et la capacité à se prendre en charge de manière autonome dans son contexte social), salutogénèse et bien-être, équité en matière de santé, développement durable, maîtrise et suivi des données relatives à la santé (monitoring) et évaluation systématique des actions.
Mise en œuvre par l’OMS-Europe
En janvier 1986, le Bureau européen de l'OMS organisa une réunion dans ses locaux à Copenhague pour proposer la mise sur pied d’un projet Villes-Santé auprès d’un petit groupe de villes européennes – au départ, quatre à six villes étaient pressenties. Deux mois plus tard, à la réunion de lancement organisée à Lisbonne, ce ne sont pas moins de 21 villes qui ont envoyé des représentants. Finalement, à la suite de la Conférence d’Ottawa à la fin de la même année, la première phase expérimentale a été lancée de 1987 à 1991 et rassemblé 34 villes. L’intérêt était tel que des réseaux nationaux Villes-Santé ont commencé à se former en Europe et ailleurs, transformant le projet-pilote initial en mouvement social.
On dénombre en cette troisième décennie du 21ème siècle une trentaine de réseaux nationaux européens, plus de 1'400 Villes-Santé et la petite centaine de villes du réseau européen piloté toujours par le Bureau régional de l’OMS, sélectionnées selon des critères et des procédures strictes. Cette sélection se renouvelle au début de chaque phase d’amélioration continue d’une durée de cinq ans autour d’objectifs communs, en accord avec l’évolution du contexte. Voici ces objectifs par phase :
- Phase II (1993-1997) : établissement de profils de santé (City Health Profile) et de plans de santé (City Health Plan) ;
- Phase III (1998-2002) : mécanismes qui garantissent une planification sanitaire intégrée, notamment en lien avec l’Agenda 21 local ; stratégies visant à réduire les inégalités en matière de santé, mener une action de développement social, adhérer aux principes du développement durable ;
- Phase IV (2003-2008) : vieillir en bonne santé ; urbanisme favorable à la santé ; évaluation de l’impact sur la santé ; promotion de l’activité physique ;
- Phase V (2009-2013) : équité en santé dans toutes les politiques ;
- Phase VI (2014-2018) : mettre en œuvre au niveau local la stratégie Santé 2020 ;
- Phase VII (2019-2023) : investir dans les « 6P » (paix, prospérité, participation, personnes, places/lieux, Planète – cf. Fig. 1) du Consensus de Copenhague entre maires (2018) « Une meilleure santé et plus de bonheur dans les villes, pour toutes et tous ».
Figure 1 : Les « 6P » du Consensus de Copenhague et de la Phase VII du réseau européen des Villes-Santé OMS (source : Réseau français des Villes-Santé OMS)
L’approche Villes-santé s’appuie donc sur une méthodologie qui vise à renforcer les leviers d’actions des citoyens et des villes pour la santé, par la réglementation, l’intégration de la santé dans toutes les politiques, la gouvernance multi-secteurs, l’implication des citoyens, et la réduction des inégalités sociales de santé. L’action doit se fonder sur l’expertise scientifique et sur les données du territoire de mise en œuvre.
1. Hancock T., Duhl L. Promoting Health in the Urban Context. Copenhague : Organisation mondiale de la santé, Bureau régional pour l’Europe, 1986. En ligne (consulté le 28.03.2021) :
http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0013/101650/E87743.pdf